Dramatiquement présent à l’avant-plan de l’actualité depuis quelques mois, le territoire palestinien fait l’objet de toutes les attentions de la part des centres régionaux d’intégration de La Wallonie. Mis en contexte par un rappel historique sur l’origine et la chronologie du conflit israélo-palestinien, un exposé, programmé par le CAI (Centre d’Action Interculturelle de Namur) dans le cadre d’une matinée de formation, a proposé une approche de cette population des migrant.e.s palestinien.ne.s qui figure, depuis 2022, dans le top 5 des pays d’origine des ressortissant.e.s accompagné.e.s par ce centre régional, dont la moitié en tant que primo-arrivant.e.s.
Depuis un certain nombre d’années, les Palestinien.ne.s sont présent.e.s en nombre dans les classements chiffrés des migrations internationales. Dans le classement le plus récent du CGRA (Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides), durant le mois de septembre 2023 (avant donc l’attaque du 7 octobre), 6,9% des 3254 demandes de protection internationale (DPI) introduites en Belgique concernaient cette population. Cela place celle-ci en quatrième position dans les demandes de DPI durant ce même mois de septembre, avec 223 personnes. Si on élargit l’analyse à la période courant de janvier à septembre 2023, les ressortissant.e.s palestinien.ne.s figure en cinquième position du nombre de personnes (712) ayant obtenu le statut de réfugié.e, au sein duquel 13 ont bénéficié d’une protection subsidiaire.
Plus de 3000 jeunes déjà suivis
Les objectifs de la formation mise sur pied par le CAI à destination des intervenant.e.s du secteur en contact avec ces populations étaient multiples. Il s’agissait notamment d’acquérir des connaissances et une meilleure compréhension du public en question, de développer ses connaissances pour accompagner ce public, d’obtenir une connaissance des spécificités de ce public, sans oublier les visées de mieux comprendre les réalités qui sous-tendent la migration des populations, ainsi que les vécus et les trajectoires migratoires des personnes.
L’exposé central de la matinée d’approche a été délivré par Bachar Malki qui, entre autres qualifications et fonctions, est docteur en psychologie, professeur à la Haute École Léonard de Vinci et traducteur-juré. Derrière son intitulé qui était « Mieux connaître les spécificités et les besoins des migrants palestiniens en vue de mieux les comprendre et ainsi les accompagner », cette intervention a dévoilé les dessous d’un projet d’accompagnement de MENA (Mineurs Etrangers Non Accompagnés) développé sous l’égide du CGG (Centrum voor Geestelijke Gezondheidszorg, en français « centre de soins de santé mentale »), en collaboration notamment avec Fedasil et la Croix-Rouge de Belgique.
Concrètement, il s’agit d’un programme d’accompagnement psychosocial, en matière de traumatisme, qui s’adresse aux jeunes âgés de 15 à 20 ans. Ce projet qui existe depuis 2016, avec le soutien d’un financement du gouvernement, a permis d’assurer le suivi de plus de 3000 jeunes, avec une moyenne de dix séances par groupe. Ces sessions se sont principalement déroulées dans la langue maternelle, certaines bénéficiant néanmoins de l’aide d’interprètes, suivant la nécessité.
Donner une place à l’individu comme au groupe
Le premier constat dressé par Bachar Malki, au départ de ces groupes, à propos du public des jeunes palestiniens est qu’ils ne sont pas en proie, au départ, à un stress post-traumatique, tout simplement parce que, mentalement, ils sont toujours dans leur parcours migratoire. Dans les centres concernés, situés en région bruxelloise, la méthodologie appliquée alterne le soutien psychosocial, des informations et discussions sur différents thèmes (traumatisme, corps, réactions au stress, sommeil, etc.), des approches des valeurs et des normes, un travail sur l’introspection, des partages d’expériences, une évocation du trajet et la question de l’adaptation.
Les éléments comptant majoritairement pour ces jeunes, détectés au fur et à mesure de la démarche, sont l’éducation, le test d’âge (qui les préoccupe beaucoup), la procédure d’asile et les informations sur la Belgique. Dans la manière de fonctionner, il s’agit d’un processus de groupe, dans lequel il convient de donner une place à l’individu comme au groupe. On y trouve, de manière marquante, des problématiques comme la culpabilité par rapport à la famille ou la dette du trajet.
Ce que Bachar Malki regroupe sous l’appellation de « stress acculturatif » reprend différents éléments. Il y a d’abord le traumatisme qui concerne autant le vécu dans le pays d’origine (guerre, génocide, persécution, emprisonnement, torture, longues périodes de malnutrition et de soins de santé inadéquats) que les épreuves subies durant le trajet (viol, abus, exploitation), autant d’éléments qui affectent les réfugié.e.s bien après leur arrivée. Il y a également le test d’âge déjà évoqué (procédure Dublin), ainsi que la langue et la culture. Et il y a ensuite, dans le pays d’accueil, les questions de la séparation familiale, du soutien social (famille en Belgique, etc.) et l’exposition à la discrimination et au racisme.
Stress, agressivité et dépression
À partir de 2019, Bachar Malki a constaté un changement de profil des jeunes avec des difficultés nouvelles. Les jeunes ne voulaient plus participer aux activités organisées par les centres, le phénomène des groupes constitués par nationalité (afghans, syriens, palestiniens, etc.) s’est renforcé, doublé par une présence accrue de jeunes arabophones, ce qui a modifié la configuration de cette population. Enfin, s’y est ajoutée la prise de substances. Ce phénomène concerne la prise, par exemple, de Captagon pour « tenir le coup » pendant le trajet migratoire, conforté, en cours d’itinéraire, lors de l’arrivée en Grèce. La Grèce où ces jeunes ont pu momentanément travailler, ce qui complique leur retour à la scolarité, une fois arrivés en Belgique. Les trois troubles principaux relevés par l’intervenant sont donc le stress, l’agressivité (notamment vis-à-vis des équipes des centres) et la dépression.
Dominique Watrin